POURQUOI TOUS LES ENTREPRENEURS MERITENT UN JET
Un billet d’humour qui dit la vérité et ça fait rire (jaune).
Il s’affaissa dans le siège 26B comme on entre dans une punition.
Un supplice moderne, sans fouet ni menottes, juste une carlingue pressurisée et 180 passagers compressés dans un tube d’aluminium.
À gauche, la femme au dissolvant. Odeur métallique, âcre, qui transformait la cabine en salon de manucure soviétique. Elle agitait ses doigts comme des antennes rouges, laissant des traînées écarlates sur l’accoudoir commun.
À droite, l’adolescent pieds nus, mâchonnant ses ongles avec application et projetant ses rognures dans le couloir avec la nonchalance d’un enfant-roi dégénéré.
Devant lui, un siège incliné au maximum, lui écrasant les genoux.
Derrière, un bébé qui testait sa capacité pulmonaire.
La climatisation soufflait une haleine glacée sur sa nuque. Les hôtesses distribuaient des sourires mécaniques et des sandwiches au thon dont l’odeur envahissait la cabine comme une marée poisseuse.
Son MacBook vibrait au rythme des coups de coude et des éternuements voisins.
Il avait voulu travailler. Il avait promis à son associé de préparer le pitch pour le fonds parisien. À la place, il contemplait la lente désintégration de sa dignité humaine.
Et là, la question s’imposa, simple, tranchante, implacable :
“Pourquoi suis-je là ? Est-ce rationnel ?”
Il fit ce que font les entrepreneurs : il compta. Trois heures perdues à l’aéroport : sécurité, embarquement, files d’attente absurdes. Quarante minutes coincé dans la passerelle à respirer la sueur des passagers. Deux heures improductives de vol, balloté entre dissolvant et kératine. Total : 5 heures 40 gaspillées pour économiser quelques milliers d’euros.
Son taux horaire ? 1 200 €.
Chaque vol commercial représentait une perte nette de 4 100 €. Conclusion clinique : le vol commercial n’est pas économique. Il est ruineux. Mais ce n’était pas seulement une affaire de chiffres. C’était une affaire de dignité.
Il ferma les yeux.
Il s’imagina ailleurs : dans un Falcon blanc, silencieux, souple. Dix minutes avant le départ, il monte. À bord, il travaille. Il téléphone. Il dort. Ses idées respirent. Ses projets avancent. Le temps lui appartient. Le jet n’était pas un caprice élitiste. Le jet, c’était un retour à soi-même.
La ligne régulière, il le comprit, était une punition collective. Une démonstration de docilité : accepter d’être compressé, retardé, humilié, comme si voyager devait nécessairement rimer avec souffrir.
Le jet, lui, était une insurrection silencieuse : refuser de sacrifier son temps, son corps, son esprit. Ce n’était pas une question de luxe, mais de survie intellectuelle.
Chaque minute de liberté gagnée valait plus qu’un siège en classe affaire. Le jet n’était pas un avion : c’était un instrument de vérité.
Alors, il pensa : “Et si tous, nous réclamions un jet ?”
Pas un Falcon doré pour milliardaires décadents. Mais un droit fondamental : voyager sans perdre son humanité. Et si la rationalité économique rejoignait enfin la rationalité existentielle ? Et si l’avenir du transport n’était pas d’entasser toujours plus de corps dans toujours moins d’espace, mais d’inventer une nouvelle ère de liberté aérienne ?
Nous ne voulons pas d’avions de ligne. Nous voulons des avions de vie.
Le siège 26B grinça.
Le dissolvant piqua les yeux.
Une rognure d’ongle atterrit sur son MacBook.
Il eut un sourire amer, presque mystique.
Ce n’était plus une lubie de riche. C’était une évidence philosophique.
“Je vaux plus que ça. Nous valons tous plus que ça.”