OPTIMISER LE CREDIT IMPOT RECHERCHE, UN LEVIER SOUS-ESTIME
Par Renaud Guillerm, Managing Partner Side Capital et CEO SideAngels
Le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) est l’un des dispositifs les plus emblématiques de soutien public à l’innovation en France. Chaque année, il représente plus de sept milliards d’euros de dépenses fiscales, soit un effort considérable consenti par l’État pour stimuler la compétitivité technologique des entreprises. Pourtant, malgré son ampleur, l’impact économique et stratégique de ce mécanisme demeure limité. Et paradoxalement, il serait possible d’en améliorer l’efficacité tout en réduisant son coût budgétaire, par une simple évolution de son traitement comptable.
La réforme intervenue il y a une dizaine d’années avait marqué une étape importante. Le calcul du CIR, auparavant basé sur l’accroissement annuel des dépenses de R&D, a été simplifié pour devenir proportionnel au volume global de dépenses déclarées. De plus, il est désormais remboursable pour les entreprises déficitaires, ce qui a particulièrement bénéficié aux startups. Ces changements ont fluidifié l’accès au dispositif, mais ils n’ont pas suffi à résoudre une anomalie persistante : le CIR n’est toujours pas intégré au résultat opérationnel des entreprises, contrairement aux subventions classiques. Par choix des instances comptables, il est imputé directement en réduction de l’impôt sur les sociétés, ce qui limite son effet au seul résultat net. L’argument avancé pour justifier cette position est que le CIR n’intervient pas dans le calcul du résultat fiscal.
Cette règle a des conséquences profondes sur la façon dont les entreprises considèrent le dispositif. En pratique, la gestion du CIR relève quasi exclusivement du directeur fiscal, qui a pour mission de sécuriser et d’optimiser son usage. Mais les départements de recherche n’y trouvent aucun intérêt : leurs budgets sont construits à partir des seules recettes et dépenses opérationnelles, sans jamais intégrer l’économie d’impôt générée par le crédit. Ainsi, les choix de sous-traitance, de partenariat académique ou même de localisation de la R&D sont rarement influencés par l’existence du CIR, sauf lorsqu’une décision stratégique requiert ponctuellement l’avis du fiscaliste. Ce cloisonnement prive le dispositif de son pouvoir incitatif auprès de ceux qui devraient en être les véritables bénéficiaires : les chercheurs et les directions de l’innovation.
Ce traitement comptable réduit également la visibilité du CIR auprès des investisseurs et des marchés. La valeur des entreprises est le plus souvent estimée sur la base d’un multiple du résultat opérationnel, et non du résultat net. En étant exclu de cette mesure, le CIR n’a pas d’effet direct sur les valorisations des sociétés innovantes françaises, ce qui les prive d’un atout supplémentaire pour attirer des capitaux ou se développer à l’international.
Intégrer le CIR au résultat opérationnel changerait radicalement cette dynamique. Cela inciterait les entreprises à orienter leurs dépenses de recherche vers l’Union européenne, où elles sont éligibles, renforçant ainsi la cohérence entre l’objectif politique du dispositif et les arbitrages stratégiques des acteurs économiques. Cela permettrait également d’accroître la valorisation des sociétés françaises investissant massivement en R&D, améliorant leur attractivité et leur capacité à lever des fonds.
Du point de vue de l’État, un ajustement simple permettrait d’en réduire le coût tout en maximisant son effet. Rendre le CIR imposable à l’impôt sur les sociétés aurait pour conséquence de diminuer mécaniquement la dépense publique de près de 25 %, sans pénaliser les jeunes pousses innovantes, le plus souvent déficitaires dans leurs premières années et donc peu concernées par cette taxation. Ce mécanisme allierait incitation renforcée et meilleure maîtrise budgétaire.
La France dispose déjà d’un outil puissant de soutien à l’innovation, mais elle en limite elle-même la portée par un choix comptable inadapté. Repenser la manière dont le CIR est intégré dans les comptes des entreprises permettrait de réaligner les incitations internes, d’optimiser l’utilisation de fonds publics et de valoriser pleinement l’écosystème national de recherche et développement. Autrement dit, il ne s’agit pas d’augmenter les moyens, mais de mieux comptabiliser pour mieux impacter.