FAKE IT TILL YOU MAKE IT... SANS FRANCHIR LA LIGNE ROUGE
Une stratégie qui, bien maniée, peut changer le destin d’une jeune pousse. Mal utilisée, elle peut mener droit au tribunal.
Dans l’univers entrepreneurial, chacun connaît ce mantra venu des États-Unis : fake it till you make it. Littéralement, « fais semblant jusqu’à ce que tu réussisses ». Derrière cette formule provocatrice se cache une réalité quotidienne pour les fondateurs de startups : projeter une image plus ambitieuse que leur situation réelle afin d’accélérer leur croissance. Car pour convaincre des investisseurs, attirer des talents ou séduire un premier client, il faut souvent paraître plus solide que l’on n’est. Ce jeu de perception peut s’avérer un formidable levier stratégique, mais il comporte aussi des risques considérables, notamment dans un cadre juridique français beaucoup plus strict que celui de la Silicon Valley.
Un outil stratégique au service de la crédibilité
Les premiers mois d’une entreprise sont paradoxaux. On demande aux entrepreneurs de présenter des références alors qu’ils n’ont encore aucun client, de justifier une traction alors que le produit n’est même pas stabilisé, d’attirer des talents alors que les moyens sont limités. Dans ce contexte, le fake it till you make it devient une stratégie de survie. Afficher un site web léché, communiquer comme si la marque était déjà installée, présenter une vision ambitieuse… tout cela contribue à créer une crédibilité indispensable pour ouvrir des portes.
Il ne s’agit pas seulement de séduire des investisseurs. La mise en récit du futur joue aussi un rôle psychologique majeur. En interne, elle permet de fédérer des équipes autour d’un projet qui paraît plus grand que la réalité du moment. Elle agit comme un moteur de motivation : on ne rejoint pas une petite structure fragile, mais une aventure destinée à changer les règles du jeu. Du côté des clients, projeter l’image d’une solution incontournable peut également accélérer l’adoption, par peur de « rater le train ».
Les limites d’un récit trop enjolivé
Mais cette stratégie, aussi séduisante soit-elle, comporte une face sombre. En France, où le droit protège fortement les consommateurs et les investisseurs, la frontière entre l’art du storytelling et la tromperie est étroite. Le Code de la consommation sanctionne toute publicité trompeuse : promettre des fonctionnalités inexistantes ou afficher de faux partenariats peut suffire à engager la responsabilité de l’entreprise. Lorsque le décalage entre le discours et la réalité vise à obtenir un avantage financier, le risque devient encore plus grand : l’escroquerie, prévue par le Code pénal, peut conduire à des sanctions lourdes, jusqu’à cinq ans de prison et plusieurs centaines de milliers d’euros d’amende.
Les levées de fonds sont particulièrement sensibles. Un investisseur séduit par des chiffres gonflés ou des contrats fictifs peut attaquer pour dol et obtenir l’annulation de son engagement. Et même sans aller jusque-là, l’effet réputationnel peut être désastreux. Dans un écosystème où tout le monde se connaît, les promesses non tenues circulent vite. La crédibilité d’un entrepreneur peut se briser en quelques mois, fermant des portes de manière irréversible.
Trouver le bon équilibre
Le fake it till you make it ne doit pas être compris comme un permis de mentir, mais comme une posture de projection. La clé réside dans l’équilibre. On peut exagérer la vision, jamais les faits. On peut promettre une ambition, pas inventer une réalité. Le discours doit toujours s’ancrer dans des éléments tangibles, même modestes : un prototype, un premier client pilote, un retour d’expérience concret. Et plutôt que de masquer les incertitudes, les entrepreneurs les plus respectés savent les assumer, en expliquant comment ils comptent les surmonter.
En définitive, « faire semblant » n’est pas l’objectif. Il s’agit plutôt d’apprendre à raconter son entreprise comme si elle avait déjà atteint son potentiel, tout en gardant les pieds sur terre. Bien manié, cet art narratif peut démultiplier les chances de succès. Mal utilisé, il peut ruiner une carrière avant même qu’elle n’ait commencé.
Le principe du fake it till you make it ne doit en aucun cas être compris comme une incitation à mentir ou à dissimuler des informations essentielles. En droit français, la publicité trompeuse, le dol ou l’escroquerie constituent des infractions civiles et pénales pouvant entraîner des sanctions lourdes (amendes, annulation de contrats, voire peines de prison).
Cet article propose une analyse stratégique et culturelle, mais ne saurait remplacer un conseil juridique. Avant toute communication sensible auprès d’investisseurs, de clients ou du public, il est fortement recommandé de consulter un avocat spécialisé en droit des affaires ou en droit de la consommation.