"Depuis que je suis Président, la France a connu une croissance de 10 %…"
Chronique d’un chiffre qui se voulait triomphe et qui sonne comme un aveu.
Dans la chambre d’un enfant, un aquarium repose sur une étagère. Les poissons, jadis vifs, sont tombés un à un. L’eau s’est épaissie, chargée de particules, et les parois se sont couvertes d’un voile verdâtre. Mais l’enfant, lui, jubile : « Regarde maman, ça grandit ! » Ce qu’il contemple avec fierté, ce n’est pas la vie, mais le symptôme d’une décomposition. Une prolifération secondaire, sans âme ni souffle, dont il se persuade qu’elle est un signe de vitalité.
Cette image prête à sourire quand elle reste dans le monde de l’enfance. Elle devient embarrassante lorsqu’elle éclaire le discours d’un président de la République. Car Emmanuel Macron, en affirmant que « depuis [son] élection, la France a connu 10 % de croissance », adopte exactement la même posture : il brandit un chiffre rond, flatteur, mais qui masque plus qu’il ne révèle. Derrière l’illusion de prospérité, l’aquarium économique de la France reste peuplé d’algues et privé de poissons.
Un chiffre gonflé à l’hélium
Entre 2017 et 2024, le produit intérieur brut français est passé d’environ 2 300 milliards d’euros à 2 550 milliards. Sur le papier, l’augmentation est nette : +10 %. Présenté isolément, ce chiffre a la beauté des slogans de campagne — simple, rond, incontestable. C’est l’arme idéale pour un président en quête de légitimité économique : il ne s’explique pas, il s’énonce.
Mais l’effet s’évapore dès qu’on remet le chiffre en perspective. Dix pour cent en sept ans, c’est en réalité une moyenne de 1,3 % de croissance annuelle. Autrement dit : une banalité européenne. Ni miracle, ni décollage, ni révolution structurelle. C’est la routine du Vieux Continent, cette lente marée qui monte trop timidement pour hisser un pays vers le haut.
Et l’humiliation vient de la comparaison. L’Espagne affiche +14 % sur la même période. Les Pays-Bas : +13 %. Même l’Italie, ce voisin qu’on aime railler pour sa stagnation chronique, suit un rythme similaire. Ce que Macron présente comme une singularité glorieuse n’est donc rien d’autre qu’une normalité moyenne. C’est le tour de magie classique du communicant : gonfler un ballon de baudruche et espérer que personne ne s’aperçoive qu’il est rempli d’air.
Le miracle à crédit
Mais le vrai scandale n’est pas tant dans le chiffre lui-même que dans ce qu’il a coûté pour être obtenu. En 2017, la dette publique française s’élevait à 96 % du PIB. En 2024, elle dépasse 110 %. Plus de 600 milliards d’euros ont été empruntés en sept ans. Jamais la France ne s’était autant endettée en dehors d’une guerre.
Or, que reste-t-il en contrepartie de cette colossale addition ? Une économie plus forte, plus compétitive, plus innovante ? Non. Les structures de fragilité demeurent intactes, parfois aggravées. L’industrie, colonne vertébrale de toute économie moderne, reste confinée à 9,5 % du PIB, contre 15 % dans la moyenne de la zone euro. La balance commerciale, elle, affiche un déficit abyssal : –100 milliards d’euros en 2023, un record historique. Quant à la productivité, ce moteur longtemps envié de l’économie française, elle stagne.
Résumons : nous avons emprunté comme jamais… pour rester immobiles. C’est comme si un ménage avait doublé son découvert bancaire pour pouvoir se vanter d’avoir acheté un pot de fleurs en plus pour le salon.
Le coût d’opportunité : une France manquée
Les économistes aiment rappeler que chaque euro dépensé a un coût d’opportunité : c’est l’alternative sacrifiée. Ici, l’alternative est vertigineuse. Que représentent 600 milliards d’euros ? La possibilité de lancer un plan massif de transition énergétique, avec des milliers d’éoliennes, de centrales solaires et un réseau électrique modernisé. La chance de réindustrialiser des secteurs stratégiques comme l’automobile, l’électronique, l’énergie. La capacité de rénover intégralement nos écoles et nos hôpitaux, d’offrir des infrastructures dignes du XXIe siècle. Ou encore de moderniser thermiquement des millions de logements, réduisant la facture énergétique et la dépendance extérieure.
Au lieu de quoi ? L’argent a été englouti dans des déficits de fonctionnement, des aides ponctuelles, des chèques conjoncturels. Autrement dit : dans le colmatage quotidien d’un système qui prend l’eau. Au lieu de nourrir les poissons, on a entretenu les algues. Et l’on s’étonne aujourd’hui que l’aquarium ne ressemble pas à un océan.
Sophisme en majesté
La mécanique est connue : isoler un chiffre, le sortir de son contexte, lui donner une charge symbolique, et le brandir comme un étendard. C’est la grammaire de la communication politique. Mais quand l’écart entre le chiffre et la réalité est trop grand, le procédé ne convainc plus : il ridiculise.
En proclamant « 10 % de croissance », Macron ne signe pas l’acte de réussite d’un quinquennat : il confesse involontairement la pauvreté de son bilan économique. Car la croissance française n’a rien de spectaculaire. Elle est banale, achetée à crédit, et incapable de masquer l’absence de transformation structurelle. Le sophisme est si grossier qu’il en devient comique.
Morale : des algues, pas des poissons
L’histoire est limpide. Macron s’extasie devant des algues et oublie les poissons morts. Il célèbre une croissance fragile, financée à coup de dettes, et fait passer une illusion statistique pour une réussite politique.
Mais contrairement à l’enfant devant son aquarium, il n’a pas dilapidé son argent de poche : il a engagé celui de plusieurs générations. Et l’histoire, implacable, ne retiendra pas le chiffre rond qu’il brandit. Elle retiendra que, faute d’avoir su nourrir ses poissons, il s’est contenté de caresser les algues.
Morale : qui prend les résidus pour la vie finit toujours par être jugé sur les cadavres qu’il a laissés.