A TABLE SANS FILTRE AVEC LA TECH, CARLOS DIAZ MET LE COUVERT.
Carlos Diaz signe un format rare : un dîner entre entrepreneurs de premier plan, où la conversation prend le pas sur la mise en scène. Pas de posture : juste une table et des idées.
Le nouveau format YouTube lancé par Carlos Diaz, « Douce France », a l’élégance des choses simples. Pas de plateau télé, pas de mise en scène tapageuse : une table, quelques entrepreneurs parmi les plus marquants de leur génération, et une conversation sans filtre. Ce qui pourrait ressembler à une discussion informelle devient, sous l’œil de la caméra, un laboratoire de leadership et de stratégie. On y parle de réussite, de temps libre, de fiscalité, d’exil, de communication, mais surtout de la manière dont on choisit de mener sa vie et son entreprise dans un contexte français parfois jugé contraint. Le spectateur assiste ainsi à une forme rare de délibération collective, où l’on quitte les slogans pour revenir aux arbitrages concrets des entrepreneurs.
L’un des fils conducteurs du dîner est la question de la souveraineté personnelle. Le véritable luxe, affirment plusieurs convives, n’est pas un bureau d’angle ni une voiture de fonction, mais la maîtrise de son temps. Pouvoir décider de ne plus mettre de réveil, organiser ses journées selon son propre rythme, rester maître de son agenda : voilà la marque d’un accomplissement qui dépasse la réussite financière. Cette idée, apparemment banale, ouvre en réalité un champ de réflexion plus vaste pour tout dirigeant. Elle renvoie à une interrogation simple mais exigeante : jusqu’à quel point nos choix professionnels nous rapprochent-ils ou nous éloignent-ils d’une vie alignée ?
Autre thème marquant : le rapport entre introspection et performance durable. Les convives abordent sans détour les pratiques de thérapie, de breathwork, de micro-doses ou d’expériences collectives comme Burning Man. On est loin du cliché de l’entrepreneur « machine » obsédé par la croissance. Ici, la vulnérabilité est assumée comme partie intégrante du chemin entrepreneurial. Qu’on y adhère ou non, le message est clair : dans une économie de la connaissance, la créativité et la résilience se nourrissent d’un travail intérieur. Pour les organisations, cela interpelle directement les politiques de santé mentale, souvent traitées comme accessoires, mais en réalité centrales dans la performance à long terme.
Le dîner devient aussi un séminaire de politique industrielle à ciel ouvert. La fameuse « Startup Nation » est passée au crible : rôle de l’État, centralisation des capitaux, capital de connivence, financement public et privé. Le diagnostic est sévère : trop de dépendance à quelques acteurs, trop peu de diversité dans les sources de financement, un système qui fonctionne mais reste fragile. La leçon pour les dirigeants est immédiate : la robustesse ne naît pas de la concentration mais de la pluralité. Diversifier ses investisseurs, multiplier les contradicteurs, s’exposer à des points de vue divergents : autant de conditions pour échapper à l’entre-soi et renforcer ses chances de durer.
La comparaison internationale, très présente dans la conversation, illustre ce besoin de contraste. Les États-Unis, Dubaï et la France sont confrontés les uns aux autres comme trois modèles de gouvernance et d’exécution. Aux États-Unis, la vitesse d’action et la capacité à livrer priment ; à Dubaï, la fiscalité et la sécurité sont mises en avant ; en France, la qualité du service public et l’attachement culturel dominent, mais la lourdeur administrative et l’instabilité fiscale pèsent lourd. Au-delà des jugements de valeur, une question traverse tout le dîner : celle de la compétence dans la conduite de l’action collective. Dans une entreprise comme dans un État, mesurer, livrer, rendre des comptes reste la base de toute crédibilité.
Un autre fil rouge, très actuel, est la question de la narration. À l’heure où l’attention est rare et volatile, plusieurs convives soulignent l’importance pour les fondateurs de devenir eux-mêmes des médias. Le Crayon, représenté à table, en est l’exemple : produire du contenu, maîtriser ses canaux, publier ses chiffres et ses thèses permet de reprendre la main sur son récit. C’est un renversement stratégique : la communication n’est plus un vernis appliqué par des agences, mais un pilier de la stratégie de croissance et d’influence. Tout entrepreneur devrait se demander aujourd’hui : qui raconte mon histoire ?
Enfin, l’épisode met en lumière une tension propre à la France : partir ou rester. Beaucoup des convives ont connu la tentation de l’exil, certains ont franchi le pas, d’autres s’accrochent à l’idée de « rester et se battre ». Entre attachement culturel, colère face aux lourdeurs et lucidité sur la compétition internationale, se dessine le portrait d’une génération qui aime son pays tout en doutant de sa capacité à se réinventer. Le débat ne se conclut pas par un consensus, mais par un appel pragmatique : créer, investir, transmettre, agir à son échelle plutôt que d’attendre des réformes venues d’en haut.
Ce premier épisode de « Douce France » réussit donc bien plus qu’un simple dîner filmé. Il installe un espace de parole rare : franc, contradictoire, habité. À l’heure des prises de parole calibrées et des postures médiatiques, cette conversation brute redonne goût au fond et invite chaque spectateur à s’interroger sur sa propre trajectoire de leadership. Plus qu’un contenu à consommer, c’est un outil à partager, débattre et mettre en pratique en équipe.
Le premier épisode est à retrouver ici.